La chronique est la fleur du journalisme : un art qui tient du lancer de la grenade et de l'introduction du suppositoire. Je veux dire par là qu’il faut bien viser afin que l’engin qu’on envoie éclate à la place exacte où il doit éclater. Cela exige du coup d’œil, de la sûreté de main et comme pour tout, de la minutie. La plupart des journalistes, ai-je remarqué, lancent leur grenade n’importe comment en regardant négligemment l’objectif, en étant pressé d’en finir, moyennant quoi elle éclate presque toujours à côté. Quand à l’introduction du suppositoire, c’est une manœuvre tout aussi délicate. Cela consiste à aborder le sujet de biais, de la façon le plus anodine possible, et à arriver par une gradation presque insensible à énoncer en queue d’article une chose énorme qui d’entrée aurait paru choquante ou ridicule. Ne jamais sauter à pieds joints dans un sujet, c’est le bon moyen de faire un papier détestable. Nous en avons des exemples tous les jours. Parmi les proverbes idiots que les bourgeois se repassent de génération en génération, il en est un particulièrement exaspérant : “le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir.” Il en est du journalisme comme de tout : quand il est bien fait, il rend la vie heureuse.
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