INTERVIEW DE BOUTROS BOUTROS-GHALI
Diplomate au long cours, Boutros Boutros-Ghali fut secrétaire général des Nations unis de 1992 à 1996, puis nommé à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie. Au cours de sa brillante carrière, il s’est vu décerner des distinctions et des titres honorifiques par vingt-quatre pays. Aujourd’hui âgé de 84 ans, il poursuit inlassablement sa quête pour la justice dans le monde et pour la Francophonie.
Où va le monde musulman ?
Le fondamentalisme islamique n’est pas propre au monde musulman. Il existe aussi un fondamentalisme hindou, chrétien et juif. Ce qui a pour cause un repli identitaire religieux, ethnique et idéologique qu’on retrouve un peu partout dans le monde face à la mondialisation. Imaginez le minaret symbolisant le repli identitaire et le satellite la globalisation. Le citoyen moyen confronté à cette globalisation qui lui fait peur se replie sur lui-même. Si vous considérez qu’il s’agit d’un phénomène qui touche toutes les ethnies, vous aurez alors une vision différente du fondamentalisme islamique.
Que faudrait-il pour réconcilier le monde occidental et le monde musulman ?
Le monde occidental devrait s’intéresser davantage au sud de la Méditerranée. L’intérêt qu’il accorde à l’Europe de l’Est ne doit pas se faire aux dépens des pays de cette région, de la Turquie au Maroc car il existe une réelle fracture Nord/Sud de l’Europe. Il y a la misère et déjà 5 millions de musulmans.
L’ONU a-t-elle les moyens de ses ambitions, notamment dans ses missions de maintien de la paix ?
Elle passe par une très grave crise, une des plus graves de son histoire. Elle la surmontera dans la mesure où cette institution est indispensable pour contribuer à résoudre les problèmes planétaires qui ne peuvent plus être résolus à l’échelle de l’Etat nation.
Comment lui redonner son autorité ?
Soit par la présence d’un nouveau président américain qui, comme Wilson avec la SDN et comme Roosevelt avec les Nations Unies, croit en l’importance du multilatéralisme. Soit avec l’apparition de nouvelles superpuissances qui ont la volonté politique de s’occuper des problèmes internationaux (l’Inde, la Chine, l’Union européenne, la Russie).
Que pensez vous de sa faible intervention sur l’Irak ?
L’ONU peut contribuer à arrêter le conflit mais a-t-elle réellement la volonté d’y contribuer et les Etats-Unis l’accepteraient-ils ?
Que pensez-vous de son silence actuel sur l’Iran ?
J’espère qu’une solution diplomatique pourra être trouvée et qu’on évitera toute utilisation de la force.
Où en est la Francophonie ?
Elle a pris un bon départ depuis Hanoi avec la nomination d’un secrétaire général. Elle a établi des contacts avec d’autres organisations similaires, le Commonwealth par exemple. Elle a élargi son objectif qui n’est pas seulement la défense de la langue française mais la défense du plurilinguisme.
La part du politique et du culturel dans la Francophonie d’ aujourd’hui ?
Le politique est en train de dominer la Francophonie pour le moment. D’autres institutions qui s’occupent également du culturel font une forme de concurrence à la Francophonie.
La Francophonie est-elle encore une valeur importante au sein de l’Union européenne ?
Hélas elle a moins d’importance aujourd’hui au sein de l’UE qu’elle n’en avait à ses débuts. Ca se traduit par l’utilisation massive de l’anglais.
Votre plus grande satisfaction ?
Lorsqu’on trouve une solution pacifique à un conflit au Cambodge, au Mozambique, à l’apartheid en Afrique du sud. Lorsqu’on a fait adopter certains nouveaux concepts comme la protection des enfants et des femmes.
Votre vie publique aujourd’hui ?
La commission des droits de l’homme en Egypte et les ONG qui essaient de promouvoir la paix. J’espère avoir la santé pour maintenir la même activité. Je rentre passer l’été dans mon pays natal, l’Egypte.
Propos recueillis par Elisabeth Tordjman
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