Jazz à Juan. LA PETITE BOMBE ANGLAISE a donné un de ces concerts dont il a le secret: virtuosité, énergie phénoménale, pieds de nez.
Au sortir du concert incandescent qu'il venait de donner près de deux heures durant sur la scène de jazz à Juan, on se disait que Jamie Cullum est peut-être ce qui peut arriver de mieux au jazz. Le Petit Prince surdoué et survolté du jazz, venu de Londres en jeans taille basse déchiré, baskets et chemise vite débraillée avant d'être dépoilée, a littéralement sauté sur la vénérable pinède, une main sur un verre de rosé, l'autre sur le clavier d'où il tire des cascades vertigineuses de notes, mais jamais à côté, en osmose avec un quintet parfait.
S'amuser, s'éclater. Tantôt charmeur, tantôt sale gosse qui se la joue voyou, il a fait son show, alternant be-bop hyperspeed et balades rêveuses, hommage aux grands anciens qui se sont produits à Juan Miles, Coltrane, Herbie Hancock et aux génies familiers du rock qu'il a écoutés Jimi Hendrix, Kurt Cobain, Radiohead. Rappelant un, que le jazz est d'abord une musique faite pour s'amuser et s'éclater, deux, qu'il n'est pas besoin d'être un initié pour pouvoir s'en saouler, trois, que la bonne musique, la vraie, se fiche pas mal des bacs dans lesquels le marketing veut la confiner.
Jamie, à 27 ans, est moins que jamais un crooner new wave à la Cinciotti, Bublé, ou ce «Sinatra en baskets» comme certains l'ont maladroitement baptisé. Sa maîtrise du clavier n'a pas grand-chose à envier à un Brad Mehldau (qu'il admire), et l'énergie phénoménale qu'il dégage en scène est directement branchée sur celle de géants du R'n B, du funk, ou du rock heavy metal, qu'il dit avoir idolâtrés. Même s'il y a aussi cette voix un peu rauque d'ado amoureux, et la touche de velours sur le piano qui évoque Nat King Cole. Faut-il parler alors de «rockcrooner» ?
Peu importe. Au risque de hérisser le poil des puristes, Jamie, le punk de Notting Hill, arrivé au jazz via ses études de ciné et de littérature, citant Bresson, Varda ou Coltrane, est capable de défoncer les portes de la culture pop en ce début de XXIe et d'y installer les sons, les syncopes, les structures et l'univers du jazz le plus authentique pour y faire entrer les «Twentysomething» (ceux qui n'ont, comme lui que «vingt ans et quelque» , son premier CD), qui ont fait de lui une star en deux saisons.
Qu'il saute à pieds joints sur son piano, le transforme en percussion, s'élance en finale de London Skies dans un hommage endiablé au Carnaval de Notting Hill, joue des sons qu'il produit avec sa bouche, qu'il passe du «vocalese» au «scat» et aux délires verbaux du «ranting», qu'il bondisse sur scène comme un (beau) diable surgissant de sa boîte, ou un pirate à l'assaut de la cathédrale du jazz qu'est la scène de Juan, qu'il susurre avec une moue de petite frappe le Blame it on my youth de Nat King Cole (en souvenir d'une Française qui l'a plaqué) ou le What a Difference a Day Makes de Tony Bennett, Jamie ne fait jamais de karaoké, comme il le répète sans arrêt.
Son secret est qu'il injecte à chaque moment sa propre personnalité, choisissant ce qu'il chante en rapport direct avec sa propre vie, comme il le souligne à propos du I Get a Kick Out of You, de Sinatra («Certains prennent leur pied avec du champagne, d'autres avec la cocaïne...»). Et qu'il triture et reformate le tout dans sa culture musicale, qui est aussi celle des jeunes gens de son temps. Le jazz n'est-il pas avant tout la musique d'ici et maintenant ?
Délire millimétré. Par-dessus tout, le surdoué londonien prend son pied, multiplie les pieds de nez, et les changements de pied, culbute et retombe toujours sur ses pieds, asticotant de loin l'ombrageux génie Jarrett («Demandez-lui un peu s'il peut faire ça, quand il sera là», après un délire au clavier), ou interrompant un morceau pour accompagner une sirène de pompiers ( «Ella a joué ici avec les cigales, moi c'est avec les pompiers», fait-il remarquer) sans jamais la moindre trace d'arrogance, ni de pomposité même s'il a joué en mai pour la reine à l'invitation du prince Charles, s'il a battu tous les records de vente d'albums de jazz au Royaume Uni et s'il est devenu, comme il le rêvait (en le craignant) une «pop star».
Jamie s'amuse visiblement, se dit ému, et paraît sincère, de jouer sur une des scènes de jazz les plus prestigieuses au monde, mais ne se prend jamais au sérieux et, parfait metteur en scène de son propre délire musical, parvient à créer l'illusion que tout ça est improvisé, alors même que tout est millimétré, et synchronisé avec les clips vidéo ou les images de lui-même projetées sur le grand écran qui est en arrière-plan. Il flirte parfois avec le trop de show, mais se rattrape toujours aux touches de son piano en riant et saluant à la manière d'un lutin sorti de That Old Devil Moon avant de retourner sur sa planète, dans les étoiles.
S'il vous arrive de croiser ce Petit Prince du jazz, dites-lui qu'on ne l'a pas oublié... et qu'il nous dessine d'autres chansons.
J'aime beaucoup Jamie Cullum, mais quelque chose me dérange dans ses provocations. Elles me semblent tout à fait organisées et donc pas très "sincères". Ne serait-ce pas que du marketing ?
Rédigé par : Johnny | 25 juillet 2006 à 20:51