L'archéologie est-elle une passion française? Assurément pour l'Egypte, la Grèce ou la Rome antiques; non, lorsqu'il s'agit du territoire national. Pour saisir ce paradoxe, il suffit de contempler la perspective qui va du Louvre (Paris) à l'arche de la Défense: pas un monument originel. Dans l'ordre, la transparente pyramide du Louvre, d'inspiration égyptienne, construite par un architecte chinois; puis l'arc du Carrousel, célébrant la Grande Armée, mais qui reste une pâle copie de celui de Septime Sévère à Rome. Et, plus loin, la place de la Concorde, ornée d'un authentique obélisque égyptien (XIIIe siècle av. J.-C.). Par Bruno D. Cot (L'Express)
Sans oublier, enfin, au bout des Champs-Elysées, l'Arc de triomphe, monumental tétrapyle aux plans très... romains. "Entre l'exaltation ininterrompue de ce passé méditerranéen et l'engouement récent des Français pour la préhistoire, il n'y a rien ou presque", regrette Jean-Paul Demoule, président de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Quelle place accordons-nous, en effet, à ces peuples autochtones qui, depuis les premiers Homo sapiens jusqu'aux Gaulois (de - 40 000 ans au VIIIe siècle de notre ère), ont façonné ce territoire et lui ont donné son identité? Pareille interrogation sera au cœur des débats du colloque consacré à la modernité de l'archéologie, jeudi 23 et vendredi 24 novembre, au Centre Pompidou.
Cette désaffection de la France pour ses ancêtres directs se vérifie aussi dans les musées. N'est-il pas paradoxal que le plus important d'entre eux, le Louvre, avec ses 60 000 mètres carrés d'exposition - consacrés aux antiquités orientales, égyptiennes, romaines, étrusques, etc. - ne possède pas une salle pour les trésors exhumés du sol français? Il existe bien le musée des Antiquités nationales, à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), mais il est si peu financé (560 000 €) et si mal mis en valeur qu'il ne reçoit pas plus de 65 000 visiteurs par an - ce qui, peu ou prou, équivaut à la fréquentation revendiquée par les organisateurs de la Foire aux fromages de Coulommiers, qui, elle, se tient pendant quatre jours...
Même si le patrimoine archéologique de la France n'a rien de comparable avec les tombes de l'Egypte pharaonique ou les splendeurs de la Grèce antique, sa richesse ne fait aucun doute: un dixième seulement en aurait été exhumé (350 000 sites répertoriés)! Mais, plus que leur nombre, le problème fut longtemps la difficulté à sauver ces vestiges, voire à leur épargner une destruction définitive. Durant des décennies, aucun texte législatif n'a sérieusement réglementé l'archéologie préventive, si bien que, depuis la Seconde Guerre mondiale, la plupart des grands travaux - autoroutes, lignes de chemin de fer, parkings, usines, etc. - ont été réalisés sans aucune fouille préalable. Résultat? Des milliers de trésors à jamais perdus sous les coups des pelleteuses, comme le palais des rois wisigoths découvert à Toulouse (1989), ou une partie du fameux chantier des pirogues néolithiques de Bercy (1991).
Depuis janvier 2001, une loi oblige enfin les aménageurs à payer ces travaux préliminaires et à en confier le diagnostic à un établissement public, en l'occurrence l'Inrap, qui compte aujourd'hui 2 000 archéologues et dispose d'un budget de 125 millions d'euros. "Soit l'équivalent de 1,5 avion Rafale construit par Dassault, conclut Jean-Paul Demoule. Vis-à-vis de nos enfants, cela reste modeste pour assurer l'avenir du passé."
Bruno D. Cot http://www.lexpress.fr/info/quotidien/rss.asp?id=7336
Très bon article, intéressant de voir les priorités de l'Etat français. Mais il est vrai qu'il est plus important de construire un parking que de sauver un patrimoine vieux de plusieurs siècles...
Rédigé par : Hobbes | 24 novembre 2006 à 14:26