Nationalisation des ressources naturelles, redistribution de la terre, refonte constitutionnelle : depuis un an à la tête de la Bolivie, le premier président amérindien du continent maintient le cap de ses réformes sociales malgré l’escalade de la violence et une opposition toujours plus virulente.
Une nouvelle constitution en suspend
Au cœur d’une controverse sans précédent : la nouvelle constitution bolivienne visant une « refondation du pays ». Fort de 54% des voies à l’assemblée, le parti d’Evo Morales veut adopter chaque article à la majorité absolue, mais l’opposition réclame un scrutin aux deux tiers à tous les niveaux du débat. En jeu : les articles sur l’autonomie des provinces les plus riches, généralement sous contrôle de l’opposition et qui espèrent ainsi garder le pouvoir et échapper à la grande redistribution nationale.
Quel bilan faîtes-vous de votre première année de présidence ?
Nous avons rendu la souveraineté et la dignité à la Bolivie. La nationalisation des hydrocarbures lui donne les moyens de son développement, sans mendier. Nous avons rendu l’espoir avec convocation de l’Assemblée constituante pour refondre le pays et nos politiques sociales. Nous travaillons dur pour changer le pays et le peuple l’a compris.
L’adoption d’une nouvelle constitution est-elle dans l’impasse ?
Non je m’y suis engagé, son adoption est fondamentale. Les précédentes constitutions sont issues d’un "apartheid silencieux". Elles n'ont jamais pris en compte la vision indienne du rapport à la terre, aux ressources naturelles, à la justice communautaire. La Constituante doit terminer ses travaux avant août. Il y a eu des difficultés avec l'opposition, mais des propositions de compromis sont avancées et devraient permettre à chacun d'y trouver son compte.
Vous venez de promulguer le 28 novembre dernier une loi visant à redistribuer les terres aux paysans les plus pauvres, quelle est sa portée ?
Cette loi veut rendre les terres non cultivées aux paysans qui en sont privés. La réforme agraire de 1953 n’a été que partielle et nombre de terres ont été redistribuées gratuitement à la bourgeoisie au pouvoir. Aujourd’hui 200 000 familles n’ont pas un lopin de terre à cultiver et sont contraintes à l’exode. La loi prévoit le retour à l’Etat d’environ 200 000 km2 de terres non cultivées, qui ensuite seront redistribuées à des communautés indigènes.
Les grands propriétaires dénoncent les expropriations arbitraires ?
Il n’y aura pas d’expropriations arbitraires. Tout propriétaire de terres qui peut en prouver l’utilité sociale pourra continuer à les exploiter. Les propriétaires crient au vol mais beaucoup ont reçu indûment des terres sans payer un seul mètre carré. Ils ne les n’utilisent pas et certains ne les ont même jamais vu.
Comment pensez-vous concilier renationalisation des ressources et maintien des investissements étrangers ?
J’ai promis la nationalisation des hydrocarbures sans expropriation. J’ai tenu parole, toutes les compagnies pétrolières ont signé les nouveaux contrats qui leur garantissent 18% de gains contre 82% auparavant. Elles continuent à faire des profits et se sont engagées à poursuivre leurs investissements. Nationalisation ne signifie pas rupture avec le secteur privé. L’Europe l’a oublié.
L’opposition est chaque jour plus forte, velléité d’indépendance des provinces les plus riches, grève de la faim et manifestations se multiplient : comment éviter une confrontation civile ?
Les tensions résultes d’une petite élite qui a toujours gouverné et qui pour la première fois depuis mon élection est en train de perdre ses privilèges. Cette minorité - nous parlons de 10% de la population, peut-être moins - possède les médias et manipule l’opinion. Mais le peuple dans sa majorité approuve nos réformes sociales et économiques. L’affrontement civil n’intéresse que ceux qui rejettent les changements : ils n’auront pas satisfaction.
Quel bilan au lendemain du deuxième Sommet visant à consolider la Communauté Sud-américaine des Nations, l’Amérique latine peut-elle avoir un poids sur l’échiquier international en dehors des Etats-Unis ?
Nous avons mis en marche une réelle dynamique d’intégration et en Amérique du Sud. Nous allons rapprocher les deux blocs, la Communauté Andine des Nations et le Mercosur. Lula disait qu’il y a dix ans, les présidents d’Amérique du Sud rivalisaient pour savoir qui était le plus ami du président des Etats-Unis. Cette époque du néocolonialisme est terminée. Nous voulons contribuer à la stabilité en nous intégrant comme l’a fait l’Europe – mais en moins de 50 ans.
Que vous inspire l’échec de la constitution européenne ?
L’Europe a souffert d’un éloignement entre ses peuples et ses élites. Les gouvernements auraient du écouter ses citoyens dès le commencement plutôt que de leur demander leur avis une fois le débat clos. L’Amérique latine à besoin d’une Europe forte qui serve de contrepoids dans un monde multipolaire.
Qu’attendez-vous de l’UE ?
L’Europe aide beaucoup pour le développement de l’Amérique du Sud. Elle doit aussi garantir l’accès à ses marchés. Aujourd’hui des pays comme la Bolivie peuvent bénéficier du système de préférences généralisées. Demain nous aurons besoin d’autres garanties. Nous avons demandé que débutent des négociations entre l’UE et la CAN.
Vous prônez une extension de la culture de la coca en Bolivie qui inquiète l’Europe, la majeure partie de la cocaïne saisie ici est originaire du continent sud américain.
En dix ans la Bolivie a réduit sa production de coca illégale de moitié, tandis que sa consommation en Europe a presque doublé. Le problème vient plus des pays consommateurs. Je suis le premier à vouloir me défaire du narcotrafic. Mais au niveau mondial le commerce de la cocaïne pèse 300 milliards de dollars annuels… La feuille de coca a une valeur culturelle et sacrée en Bolivie Nous avons élaboré une stratégie réaliste et durable, mais sans recours à la violence comme auparavant. La Bolivie a fini de payer de son sang la consommation de cocaïne du Nord. Ceci n’est pas négociable.
Interview réalisée par Gaëlle Bézier.
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