On a beau résister de toutes ses forces, repousser maintes fois l’échéance et faire fi des douze invitations quotidiennes sur sa boîte mail, un jour, on craque…et l’on s’inscrit à Facebook…
« Pour voir… », se dit-on. C’est là que le piège se referme. Quelques clics plus tard, et l’on se sent déjà comme dans un aéroport américain au lendemain du 11 septembre. Date de naissance, profession, religion, choix politiques, adresse, vidéo, photo, portrait, profil, trois- quart, hétéro ? Homo ? Que cherchez-vous ? Tout ça, avec la désagréable impression de passer pour un réfractaire obtus - un vieux con, quoi - si on ne se livre pas corps et âme à ce questionnaire digne d’un roman d’Orwell. Pour un peu, on en viendrait presque à redouter un dernier test anti-dopage inopiné ou une petite fouille au corps de derrière les fagots.
Rassurez-vous, après avoir renoncé aux dernières réminiscences de pudeur qu’il vous restait, vous pouvez, enfin, vous lancez dans l’aventure Facebook.
Enfin…l’aventure…C’est beaucoup dire. On réalise quand même assez vite que l’on n’aura pas besoin de son passeport sur ce coup-là et que le périple s’apparente plus à un trekking dans le Lot qu’à l’ascension de l’Everest. Car la première impression qui vous vient à l’esprit en vous connectant, c’est : « Tout ça pour ça ? » Un « buzz » incroyable, des émissions consacrées, un engouement quasi-mondial…pour se retrouver devant une bête fiche d’identité virtuelle jetée en pâture aux internautes de la planète. Ainsi donc, il ne se passe rien ? Et bien oui. Tout du moins au début…
Car, attention, c’est maintenant que la balade de santé (si on fait l’impasse sur l’inscription rebutante au possible) se transforme en Intifada numérique. Après cinq minutes d’attente, et après avoir averti votre tribu de votre venue sur le site, on clique benoîtement sur une « friend request » (invitation de quelqu’un qui veut être dans votre liste de contacts). Et là, le bombardement commence : on vous demande de préciser quand vous vous êtes rencontrés, à quelle occasion, pourquoi, qu’avez-vous fait (d’inavouable ou pas) ce jour-là ensemble. Les questions reprennent de plus belle. La parano aussi. Vous transpirez. On vous propose une application, vous acceptez. Vous ne savez pas ce que c’est. Qu’importe ! Il est déjà trop tard. De multiples fenêtres apparaissent sur votre écran. C’est le branle-bas de combat. On vous demande pêle-mêle d’installer un jeu de poker, un quizz sur les génériques des séries des années 80, un test pour calculer votre QI, pour vérifier si vous êtes un bon amant, si vous aimez les chiens, de participer à une bataille de câlins, une bataille de hot-dog, une bataille de bière, de joindre des clubs aussi obscurs qu’inutiles : « Je ne comprends pas l’humour de Laurent Ruquier », le club de ceux qui pensent que « Martoni bluffe » (réservé aux cinéphiles avertis), le club de ceux qui « sont contre les cons qui restent à gauche dans les escalators » (sic), le club de ceux qui aiment la Tecktonik ou celui de ceux qui, a contrario, souhaiteraient voir les susdits danseurs dépourvus de leurs membres supérieurs. On peut ainsi à loisir, et au gré de ses différentes adhésions, tourner et retourner sa veste, dans le but, inavoué, de brasser le plus large possible.
Et pendant ce temps-là, les invitations d’amis continuent d’affluer ! Amis, collègues, anciens camarades d’école, ex trahies à tendance vindicative, tout y passe. Peu importe que vous vous détestiez dans la vie : sur Facebook, on s’ajoute, on se « poke », on se « hug » et l’on se « kiss » à tout-va dans un joyeux maelström de bons sentiments, d’hypocrisie assumée et de souvenirs émus (tout de même).
Tout ceci dans un seul et unique but : agrandir son réseau social avec toute l’avidité d’une compagnie pétrolière texane, en sachant bien, au fond, qu’on ne sera pas plus proches, demain, de ces gens-là.
Une énième version remaniée, au final, de l’ultra moderne solitude…
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