D’où venons-nous, où allons-nous ? Telle est la question. Celle qui obsède Yves Coppens. Depuis un demi-siècle, le paléoanthropologue mène une enquête serrée sur nos origines. Entre autres co-découvertes, on lui doit celle de Lucy, l’australopithèque la plus célèbre de notre galerie d’ancêtres. Quand il ne gratte pas le sol, ce Professeur du Collège de France développe des théories fondatrices sur nos aïeux, dote la France
Retour aux sources avec un homme de son temps, une exclusivité Direct soir.
« Quand les hommes s’installeront sur d’autres planètes, nous assisterons
probablement à l’émergence de nouvelles espèces. »
Vous venez de fêter les 30 ans de la découverte de Lucy notre grand-mère à tous, où en est notre album de famille ?
Il s’agrandit. Mais au risque de vous décevoir Lucy n’est pas notre gand-mère. Aujourd’hui nous savons qu’il s’agit plutôt d’une cousine. Une adolescente qui plus est : à peine trois millions d’années ! Depuis nos recherches nous ont amenés à découvrir des pré-humains vieux de sept millions d’années et appartenant à une quinzaine d’espèces différentes. J’en ai signé six. C’est dire que les prétendants au titre de premier bipède sont nombreux. Dernière recrue en date, Toumaï, découvert au Tchad et dont certains caractères de la face sont plus évolués que ceux d'hominidés plus récents. Ses incisives témoignent aussi de son régime nettement plus varié que celui de Lucy, essentiellement herbivore.
L’Homme de 2006 est-il finalement très éloigné de l’homme de Neandertal ?
Nous sommes plus beaux ! Et même si quelques esprits chagrins peuvent en douter, nous sommes infiniment plus courtois que nos ancêtres. Nos mœurs sont devenues nettement plus policées et cela fait bien longtemps que nous ne mangeons plus le cerveau de nos aïeux…
A quoi ressemblerons-nous demain ?
Le vivant évolue vers une complexification croissante. Si l’humanité poursuit sa route nous allons vers une super humanité avec des hommes plus intelligents. Il est probable que le volume de notre crâne augmentera encore ce qui pourrait susciter des difficultés à l’accouchement. Les femmes porteront peut-être leurs bébés moins longtemps. Si demain les hommes s’installent sur d’autres planètes, voire dans d’autres systèmes stellaires, on pourra aussi assister à l’émergence de différentes espèces.
Etes-vous séduit par le nouveau musée du quai Branly dédié aux arts premiers ?
C’est un très beau musée. Cependant, je l’ai déjà dit à Jacques Chirac, le terme d’arts premiers est quelque peu anachronique pour un musée qui n’expose aucune peinture rupestre de nos ancêtres. J’aurais aussi préféré fédérer tous les arts en un seul lieu. Pourquoi l’art africain au quai Branly et l’égyptologie au Louvre ? Il est indispensable d’établir des passerelles pour éviter toute séparation ou tentation de hiérarchisation culturelle.
Vous présidez l’association Vocation Patrimoine qui lance un programme de formation pour les managers des sites du patrimoine mondial de l’humanité, pourquoi ?
Ces sites constituent un héritage inestimable pour nos enfants. Leur conservation représente un défi à l’heure de la mondialisation. Il faut former plus de managers pluridisciplinaires, des scientifiques qui soient aussi des gestionnaires. Ce programme d’initiative privée associe le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO mais aussi des investisseurs privés comme Axa ou Mazars, une première en France.
Vous venez de publier Histoire de l’homme et changements climatiques, serons-nous en mesure de nous adapter aux brusques changements annoncés ?
Nous devons tout faire pour minimiser l’impact de l’activité humaine sur le réchauffement. Néanmoins le climat a toujours évolué, l’homme est un être culturel qui a fait la démonstration de son adaptabilité, il survit au pôle Nord ou dans le désert. Ce n’est pas le cas du mammouth, par exemple, qui n’a pas su adapter son régime alimentaire lorsque les steppes ont fondu sous l’influence du réchauffement climatique. La disparition de la flore a sonné le glas de l’herbivore. Nous n’en sommes pas là, l’homme a d’infinies ressources.
Lucy a 3 millions d’années, pensez-vous que le XXIe siècle sera enfin celui de la femme ?
Disons que si nous n’avons pas perdu tous nos réflexes ancestraux chèrement acquis dans les cavernes, nous nous orienterons vers une meilleure compréhension de l’autre sexe. Notre modèle emprunte davantage à l’organisation sociale des gibbons axée autour du couple, qu’aux structures collectives des babouins régies par un mâle dominant. L’espoir est de mise.
Si l'homme s'installe sur une autre planète il est effectivement probable que l'on assiste (enfin sur une très longue durée, donc difficile à observer) à un changement de l'espèce.
Mais ce sera une adaptation de l'espèce déjà existante et peut être pas l'apparition de nouvelles espèces, ce sera toujours des humains.
Rédigé par : Applause | 08 août 2006 à 15:15